Je n'imaginais pas, et mon ami le maître-entoileur du blog Han Ryner non plus, que la mise en ligne quasi simultanée de nos billets consacrés au beau poète Emile Boissier aurait une si heureuse conséquence : la rencontre - grâce à l'internet, n'en déplaise aux grincheux - d'un autre Nantais passionné par l'oeuvre de son lyrique et méconnu concitoyen du siècle dernier, rencontre qui allait nous permettre d'en savoir beaucoup plus sur l'auteur de Dame Mélancolie. M. Jean-Pierre Fleury, en effet, puisqu'il s'agit de lui, après avoir donné dans le n°11 de Saltimbanques ! (Nantes, printemps-été 2006) le premier article de l'après-seconde guerre mondiale sur Boissier, s'apprête à faire paraître une anthologie de ses poèmes. Au cours de ces recherches, il a pu réunir un nombre considérable de documents qui lui permettront, je l'espère, de rédiger la biographie qui complètera merveilleusement l'anthologie. En attendant, il a bien voulu me confier les poèmes qu'on va lire, dédiés, pour quatre d'entre eux, au Magnifique, et, pour le dernier, à Divine. Publiés initialement en revues, ils furent recueillis dans le premier et seul volume paru de ses OEuvres Complètes : Poèmes - tome I (Librairie française, Paris, 1905). Ces cinq textes laissent assez bien entrevoir la diversité des talents de Boissier, poète tout à la fois grave, épris d'idéal, martyr du monde réel, et amoureux léger, ne dédaignant pas la chanson (savamment) naïve.
Le Mimosa
[Cette pièce et la suivante appartiennent à l'ensemble des "Symphonies florales", 49 poèmes qui parurent, pour la plupart, dans L'Hermine de Louis Tiercelin. "Le Mimosa" fut mis en musique par Lacombe sous le titre "Le Fou du Roi"]
A SAINT-POL-ROUX.
Je suis le fou du roi, le fou costumé d'or,Gentil damoiseau paré de dentelles.Mon rire est une cascatelleOù tintent des grelots d'or.- Fleurissez galants, fleurissez vos belles ! -Je suis le fou du roi, le fou costumé d'or.Je chante des lieds qu'il est doux d'entendre.La reine m'a pris pour son favoriEt nous explorons la carte du TendreEn lisant les vers de la Scudéry.Hola ! petit page, avant que je liseQu'on m'apporte sur un plat de vermeilDu muscat limpide où rit le soleil,De fins élixirs et des friandises.A mon front la reine a voulu poserSa couronne d'or et de perles fines.A mon front la reine a voulu poserL'effleurement naïf et subtil d'un baiser.En mes yeux la reine a longtemps miréSon rêve alangui d'amoureuse triste.En mes yeux la reine a longtemps miréL'azur pâle et troublant d'un regard timoré.A mes doigts la reine a désiré voirSes anneaux d'argent gemmés de topaze :A mes doigts la reine a désire voirSes cheveux déroulés dans la tiédeur du soir.Hola ! petit page, avant que je liseQu'on m'apporte sur un plateau nacréDes sorbets de neige et du vin sucréDans mon aiguière en cristal de Venise.Je suis le fou du roi, le fou costumé d'or,Gentil damoiseau paré de dentelles.Mon rire est une cascatelleOù tintent des grelots d'or.- Fleurissez galants ; fleurissez vos belles ! -Je suis le fou du roi, le fou costumé d'or.
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La Reine des Prés
A SAINT-POL-ROUX.
Sous la clarté blondeTrois petits ondinsDansent une rondeDans le vieux jardin.- "Ah ! que notre reine a les cheveux fins !"La nuit qui contempleCes beaux enfants nusCouronne de pampreLeur groupe ingénu.- "Ah ! que notre reine a le pied menu !"Et la brise effleureD'un baiser furtifL'étang calme où pleurentLes roseaux plaintifs.- "Ah ! que notre reine a les yeux naïfs !"Sous la clarté blondeTrois petits ondinsDansent une rondeDans le vieux jardin.
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Blanche
[Ce poème fait partie des 9 textes, écrits entre 1900 et 1903, qui composent la section des "Images éphémères"]
A SAINT-POL-ROUX.
Ta bouche presque humide expire une saveurVers la mienne, et j'entr'ouvre en un baiser rêveurLa corolle d'extase où se pâment tes lèvresPour y verser l'ivresse étrange de mes fièvres.J'exile une caresse à tes doigts longs et finsSur tes mains de silence où de blancs séraphinsNeigent une clarté d'aurore et de lumière.Ta chair a le parfum de la rose trémière.Tes yeux doux et peureux se ferment lentementAinsi que des écrins où dort un diamant.La frange de tes cils fait une ombre de soieSur ton profil de vierge alangui par la joie.A ton front pur glisse l'envol de tes cheveuxAumône d'or, moisson d'adieu vers les aveux.Ta joue est fraîche comme un fruit ; ta gorge est pâle ;Il y meurt un collier qu'irisent des opales.
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Au village
[Cette pièce et la suivante appartiennent aux "Paysages" qui comptent 10 poèmes]
Au poète SAINT-POL-ROUX.
Près des rochers abrupts qui dominent la plage,Un agenouillement de maisonnettes blanchesDit le calme repos endormi sous les branchesEt l'exil ingénu de mon petit village.Voici les toits de brique et les portes où sèchentDes filets ; voici la fenêtre, où, matinale,L'aïeule aux doigts osseux tresse le chanvre pâle ;Voici l'église et les dentelles de sa flèche.Rien ne meurt. La légende instruit les coeurs volagesDu passé monotone, et la vie est très simple,On est crédule et chaste. On va cueillir des simplesEt prendre au bord du flot de frêles coquillages.Parfois quelqu'un revient d'une lointaine absence,Le gars robuste aux yeux d'espoir et de folie,Et c'est fête au village en fleurs où la jolieRêve sur son épaule et l'admire en silence.Elle interroge et sa voix est câline et douceComme si sa jeunesse y mourait de langueur.Le gars ivre d'amour la berce sur son coeurEt s'énerve de joie au frisson de sa bouche.Ils boivent au pichet de grès le cidre d'or,Heureux d'y retrouver la trace de leurs lèvres,Et ce sont des serments d'avenir et des rêvesOù leurs mains d'abandon se recherchent encor.Puis, vers la mer de nacre ils descendent ensemblePour voir sur l'horizon passer les voiles calmes.L'homme parle tout bas, et la fillette trembleA ce mystère ému qui pénètre leurs âmes.Et c'est, près des rochers qui dominent la plage,Un agenouillement de maisonnettes blanches,Le repos endormi sous le calme des branchesEt l'exil ingénu de mon petit village.
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Un matin de février
[Ce poème daté du 14 février 1903 est dédié à la fille du poète, alors âgée de 4 1/2 ans. 9 jours plus tôt, le Magnifique avait épousé Amélie à la mairie du XIe arrondissement de Paris. Boissier était-il de la noce ? ou les nouveaux époux accompagnés de leurs enfants avaient-ils rendu, quelques jours après leur mariage, une visite à l'ami Boissier en sa demeure de La Noë ? Rappelons que le médaillon que Saint-Pol-Roux lui consacra dans la Nouvelle Revue Moderne avait paru en janvier de cette même année. L'amitié entre les deux hommes semble s'être affermie à cette époque]
A DIVINE SAINT-POL-ROUX.
Le brouillard gris s'accroche en festons de dentellesAux peupliers, et sur l'étang glisse un linceul.Un rouge-gorge chante aux branches du tilleulSon hymne pur rhythmé par ses battements d'ailes.C'est le silence matinal... La vie est ivreD'avoir dormi sous les étoiles, - lys d'argent.L'Aube s'éveille à peine et ses yeux indulgentsTremblent de s'entr'ouvrir au froid baiser du givre.Comme un messager blond d'aurore et de clarté,Le soleil veut neiger des roses vers sa joue ;Mais l'Aube s'intimide. Elle est pâle. Elle joueAinsi qu'une frivole aux lèvres de fierté.Le soleil la lutine... Elle fait la coquette,Mais lui - tel un amant complice de son jeu -Ecarte le nuage et la caresse un peuD'un volant de rayons dardés par sa raquette.Il ne triomphe pas. Sa flamme hésite encor.L'aube rougit. La plaine en feu tremble et s'ébroue.Au fond des basses-cours un cri de coq s'enroue :Cocorico ! - C'est la victoire aux gerbes d'or...
La Noë
14 février 1903.
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1 commentaire:
On m'a informé que l'anthologie sur Emile Boissier a paru, avec un numéro ISBN. Je l'évoque moi-même sur mon blog, ici:
http://fattorius.over-blog.com/article-29152324.html
histoire de faire un coup de pub; je me suis permis de faire un lien vers votre blog, afin que les plus curieux puissent se faire une idée de ce qu'écrivit Emile Boissier.
Bonne continuation à vous!
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