vendredi 18 juillet 2008

"LOUISE" de Charpentier ou le double langage - échos d'une représentation, par Bernard BARRAL

Je romps le silence, enfin. Il aura été bien long. Mais sachez que je n'ai pas chômé au cours de ce mois. J'ai continué d'assurer l'information quasi hebdomadaire des "Amis de Saint-Pol-Roux", auxquels j'adresserai prochainement la quarante-deuxième épistole. J'ai, aussi, quelque peu aménagé le site; le visiteur aura remarqué qu'étaient apparues il y a quelque temps déjà, toujours dans la partie gauche de la page d'accueil, une "revue du symbolisme et de l'avant-siècle sur la toile" et une "vitrine des parutions récentes" touchant cette période; eh bien, j'y ai ajouté (sous le défilé de citations) la possibilité pour le visiteur de s'abonner gratuitement à l'épistole de diffusion des Féeries Intérieures, qui lui permettra d'être alerté, presque immédiatement, par courriel, de la parution d'un nouveau billet. Mais j'ai surtout passé mon mois (enfin, les quelques heures de temps libre cueillies en ce mois écoulé) à préparer le premier Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux, sur le modèle de celui que mon ami Christian Buat a su joliment réaliser pour les Amateurs de Remy de Gourmont. Il me reste encore à rédiger les quelques mots de présentation, et la plaquette devrait paraître en août. Je peux d'ores et déjà vous en dévoiler le titre : Les Reposoirs de la Procession (1893) - Dossier de réception. Ce premier bulletin recueillera donc les articles qui accueillirent la parution du premier recueil poétique du Magnifique. Tiré à 50 exemplaires, il sera vendu par correspondance au prix de 6 € franco de port, avec possibilité d'abonnement pour 3 numéros, au prix de 15 €. Vous pouvez réserver votre exemplaire par courriel ici : harcoland@gmail.com. Sont subodorées les livraisons suivantes : La Dame à la faulx (Dossier de réception); La bibliothèque de Saint-Pol-Roux; Saint-Pol-Roux & Jean Royère : frères en poésie.

Mais en attendant, voici un billet, que je suis d'autant plus fier de produire qu'il n'est pas de moi. Ces heureux échos de la représentation, du dimanche 29 juin 2008, de la Louise de Gustave Charpentier à l'Opéra Bastille, sont de Bernard Barral, qui ne fait pas sa première apparition sur le blog. Qu'il en soit vivement remercié.

LOUISE de CHARPENTIER
ou
le double langage ?

- échos d'une représentation -

La première de Louise de Gustave Charpentier, "roman musical" en quatre actes et cinq tableaux, eut lieu le 2 février 1900 à l’Opéra Comique. Le livret est officiellement du compositeur mais il semble désormais établi que Saint-Pol-Roux y collabora sans que l’on puisse dire, du moins à notre connaissance, le degré ni les modalités précises de son implication. Seule certitude : à partir de 1902, Charpentier donne 100 francs à Coecilian, fils du poète et filleul du compositeur, pour chaque représentation de Louise…

Il ne s’agit pas ici de faire une étude du livret (sa poésie ?) ou de la musique de Louise. Il est question, modestement, d’écrire un billet, crayonné après la représentation du dimanche 29 juin 2008, donnée à l’Opéra Bastille. Rien de plus.

On a connu deux surprises : l’orchestre de Charpentier et la mise en scène d’André Engel.

On sait que les mises en scène et avec elles les décors et les costumes ont suscité depuis l’arrivée de Gérard Mortier à la tête de l’Opéra National de Paris, des critiques parfois virulentes de la part du public. Or pour Louise rien de tel ! La surprise et d’une certaine façon la satisfaction, viennent de l’absence d’"actualisation à tout prix" de l’œuvre et donc de provocation gratuite. Les tableaux qui se succèdent, du décorateur Nicky Rieti, sont superbes et d’un réalisme confondant tout en ayant le charme nostalgique de vieilles images d’Epinal ou d’oeuvres de Steinlen (mais qui seraient avancées d’un quart de siècle) : montée d’escalier d’un immeuble, intérieur ouvrier, station de métro, intérieur d’atelier de couture, place publique montmartroise, toits de Paris. Ah ! la belle vision incendiaire de Louise sur les toits, en robe rouge!

La deuxième surprise vient de la musique même de Charpentier. Il y a dans Louise une finesse et une puissance orchestrales auxquelles le profane, habité de préjugés sur la musique française du tournant du vingtième siècle, ne s’attend pas. L’orchestre de Charpentier n’est pas celui de Verdi (on avait d’ailleurs encore en tête le Don Carlo admiré la semaine précédente à Bastille). Mais c’est plutôt l’orchestre de Wagner avec par endroits la délicatesse de celui de Massenet. La ligne de chant annonce parfois celle de Debussy dans Pelléas, créé en 1902. Cela dit, ce n’est pas rendre justice à Charpentier que de repérer avec insistance les influences qui existent, certes, mais qui sont assimilées : la musique que l’on entend est bien "du Charpentier".

Le compositeur délaisse les airs et les duos strictement déterminables, sauf à la première scène du IIIeme acte, et exploite le procédé du leitmotiv, sans qu’il s’agisse pour autant d’une organisation structurelle comme chez Wagner. Pour une étude précise et éclairante du traitement de l’orchestre et des voix dans Louise, on ne peut que renvoyer à l’article du compositeur Philippe Fénélon (cf. "le Programme", Publication de l’Opéra National de Paris, p.81 à 90).

Les préludes symphoniques sont de toute beauté, ainsi que la scène des cousettes à l’atelier, l’air de Louise ("Depuis le jour où je me suis donnée") ou encore la complainte du Père ("Voir naître un enfant, le fleurir de caresses") puis de sa berceuse au dernier acte, sans parler de la cérémonie parodique du couronnement de Louise où les Chœurs de l’Opéra, préparés par le Chef Alessandro Di Stefano, ont été comme à l’accoutumée remarquables.
Mais les fulgurances de l’orchestre réclament une puissance vocale exceptionnelle. Or trop souvent, l’orchestre dirigé fougueusement par Patrick Davin, a couvert les chanteurs, à l’exception peut-être du baryton Alain Vernhes, dans le rôle du père, du ténor Luca Lombardo, le noctambule et le Pape des fous, ou encore de la mezzo-soprano wagnérienne Jane Henschel, la mère. Le ténor Gregory Kunde a su tout de même être à la hauteur du personnage de Julien. Reste le rôle extrêmement délicat de Louise. La soprano Guylaine Girard, conformément au souhait du compositeur (!) était crédible physiquement mais n’a pas pris vocalement de risques et a évité les aigus vertigineux.
Cela dit, il conviendrait de comprendre les raisons pour lesquelles les commentaires de spectateurs, glanés ici ou là à l’entracte et à la fin de la représentation, n’étaient pas unanimement favorables. Certes, ce ne sont que des opinions et de surcroît partielles mais il est intéressant de les questionner brièvement.
L’argument et son réalisme naturaliste, maintes fois rappelé par les commentateurs, peuvent apparaître désuets. On retrouve l’inquiétude de SPiRitus à propos de Saint-Pol-Roux : sa poésie est-elle datée ?… Se dégage-t-il de ce "roman musical" un sens universel et intemporel ?
En 2008, l’histoire de Louise, cousette et fille d’un couple d’ouvriers, amoureuse contre le gré de ses parents de Julien, poète, avec lequel elle s’enfuit pour découvrir le plaisir charnel et la gaîté chimérique montmartroise, semble en effet "dépassée". En 1900, l’apologie de l’amour libre et l’hymne au corps et à la sensualité féminine devaient sembler moralement et politiquement subversifs mais aujourd’hui, soixante années ont passé depuis Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir et quarante depuis "mai 68" ! Et l’on ne compte plus les exhortations politiques hebdomadaires à "être festif" et les injonctions médiatiques quotidiennes à confondre le bonheur avec le plaisir. De façon cocasse, on pourrait dire ainsi de Louise ce que Hegel dit de la représentation imagée de la religion chrétienne (pas moins !) : "Que peut-on faire de tout cela ? C’est un passé qui est derrière nous, qui ne peut être pour nous qu’inutilisable."
La question inactuelle parce que la moins datée de l’opéra, est peut-être celle que pose Louise à Julien au IIIeme acte : "L’amour des parents n’est-il donc que de l’égoïsme ?". Et le bohème de répondre : "Rien qu’égoïsme." Au dernier acte, le père, en manière de réplique, profère cette sentence suétonienne désespérée : les enfants "attendent que la mort les délivre de ceux qui voudraient mourir pour eux !". La berceuse qu’il chante, par sa puérilité même, annonce son cri tragique final. André Engel a dû se rappeler que 1900 est l’année de la publication de L’Interprétation des rêves de Freud car il nous montre Louise, avant qu’elle ne réponde à l’appel de Paris, chevaucher érotiquement (et mortellement ?) son père comme elle l’avait fait précédemment avec Julien !
Il apparaît que les couleurs et la puissance de l’orchestre de Charpentier en bien des moments dissonent avec ce que dit le livret, de façon somme toute caricaturale ou emphatique. Par exemple, au IIIeme acte tout se passe comme si Charpentier le compositeur avait déclaré au librettiste Charpentier (ou Saint-Pol-Roux ?), plagiant la formule du peintre Pellerin chargé de portraiturer la Maréchale de L’Education sentimentale : "Julien et Louise, cet artiste stérile mais beau parleur et cette petite couturière, je les flanque en Tristan et Isolde !". Mais Charpentier souhaitait-il un deuxième degré ironique ?… Sans doute faut-il comprendre que la musique chante la "vision", le "ressenti" des personnages, qui ne sont plus les nôtres mais étaient ceux des contemporains du compositeur. Notre "bovarysme" a tout simplement changé de figure et de discours.
Le paradoxe est alors qu’on se prend à rêver d’une autre mise en scène : elle mettrait outrageusement en lumière la dimension non pas désuète mais ridicule voire comique du "réalisme" du livret, autorisée par la musique même, au lieu d’apparaître comme une mise en tableaux, superbe, du chef-d’œuvre de Charpentier. Et tant pis pour les huées !
Bernard BARRAL.
Direction musicale : Patrick Davin
Mise en scène : André Engel
Décors : Nicky Rieti
Costumes : Chantal de La Coste Messelière
Lumières : André Diot
Chorégraphie : Frédérique Chauveaux
Dramaturgie : Dominique Muller
Chef des Chœurs : Alessandro Di Stefano
Orchestre et Chœurs de l’Opéra National de Paris
Distribution de la représentation du 29 juin 2008 :
Louise : Guylaine Girard
La mère : Jane Henschel
Julien : Gregory Kunde
Le père : Alain Vernhes
Le noctambule, le Pape des fous, le marchand d’habits : Luca Lombardo
Pour des raisons de place nous ne pouvons nommer tous les chanteurs; nous le regrettons d’autant plus que les "rôles secondaires" sont importants dans les scènes d’ensemble de Louise.

1 commentaire:

zeb a dit…

Ne peut ont voir un Opéra, lire de la poésie, ou un roman, sans en chercher encore et toujours "l'actualité" ?