Il y a quelques semaines, je donnais le compte rendu du "Lundi de Rosengart" dédié au Magnifique, que m'adressa, de Saint-Brieuc, notre envoyé spécial. On se souvient que les spectateurs chanceux eurent l'occasion d'entendre une séquence des Litanies de la Mer, la formidable symphonie verbale de Saint-Pol-Roux, pour l'exécution de laquelle le poète mobilisa pas moins de 250 récitants. C'est le 12 juin 1927, lors de l'inauguration du Monument aux marins victimes de la guerre, sur la pointe Saint-Mathieu, qu'il dirigea son orchestre vivant. Étrangement, les articles qui furent consacrés à cet événement dans la presse ne s'attardèrent pas sur cette extraordinaire réalisation poétique, l'oubliant, même, ou se contentant de la signaler en passant, après avoir longuement reproduit le discours de Georges Leygues, ministre de la marine d'alors. Heureusement, Saint-Pol-Roux avait donné, l'année précédente - le 30 juin 1926 exactement - quelques extraits, à Brest, lors d'une audition, à laquelle la presse locale fit meilleur et plus large accueil. L'Ouest-Éclair, par exemple, dans son édition finistérienne, lui consacra un assez long compte rendu, que je reproduis ci-dessous. Comme on va le lire, les extraits des Litanies de la Mer furent précédés d'une conférence de Saint-Pol-Roux, "Le Verbe total et vivant", dont le texte magnifique est reproduit dans La Besace du Solitaire (Rougerie, 2000). L'auteur posait là les premières pierres lyriques de sa Répoétique.
LA SOIRÉE SAINT-POL-ROUX
La Soirée que le poète Saint-Pol-Roux a donnée l'autre soir salle d'auditions des concerts Sangra qui regorgeait de monde, a été une véritable apothéose. Dans une langue riche et neuve, bigarrée d'images saisissantes et de visions imprévues, Saint-Pol-Roux traita devant un public d'élite : du verbe total et vivant, en une verve difficile parfois, parce que philosophique et symbolique mais combien incomparable.
D'après Saint-Pol-Roux, le verbe est une unité innombrable. Mais s'il est quantité, le verbe est surtout, sous le vocable de poésie, qualité. Conséquemment celle-ci se définirait : qualité de quantité.
Ce poète de qui Ferdinand Herold a écrit : "Je le considère comme un des grands poètes qui vivent aujourd'hui. Il a été un inventeur, dans toute la force du terme et jamais on ne le répètera trop", nous entretient de la vie des mots et parvient à nous présenter la poésie comme un travail, d'après même son étymologie, ce qui l'amène à conclure que le poème, cette action doit s'élever jusqu'à la construction.
Saint-Pol-Roux veut émanciper la poésie du livre coutumier pour lui demander une œuvre parallèle à celle de la sculpture et de la musique : "Que ne tenterions-nous, dit-il, de créer des œuvres qui, par leur plasticité verbale alimentée de rythmes, donnerait l'impression d'une solidité et par la bactériologie des mots, d'une solidité vivante."
Et nous voilà conduits à l'animation du verbe par l'orchestre vivant des récitants.
On devine quelle amplitude cela donnerait à la poésie jusqu'ici cantonnée dans les cadres traditionnels ; agissant désormais par masses capables d'ériger des œuvres compactes comme des batailles, des tempêtes, des apothéoses, des cathédrales.
Une telle entrée de la poésie dans la vie étendrait considérablement le drame et renouvellerait le théâtre. Un progrès de cette envergure équivaudrait celui de l'apport cinématographique.
L'exécution des quatre parties de la Synthèse des pêcheurs de Camaret fut des plus impressionnante par la vérité du texte et par la nouveauté du mode.
Par cette œuvre, le poème, désormais n'est plus la solitaire expression d'un poète, mais la collective expression de tous les êtres.
A la fin de cette éclatante soirée, quelques poèmes construits par une riche palette tirés des œuvres du maître et en particulier de "La rose et les épines du chemin" ; des "Reposoirs de la Procession" ; de la "Colombe au Corbeau par le Paon" furent dits avec beaucoup d'émotion et d'enthousiasme, par Mmes Jeanne-Pierre Bodros ; Magda Tarquis ; MM. Pierre Massé et Édouard Mocaër.
Nous ne saurions trop féliciter les "protagonistes" et "récitants" de la "Synthèse légendaire", parmi lesquels Mmes Tarquis, J.-P. Bodros, Kuntz, Plisson, Frichot et MM. L. Gautier, E. Tarquis, E. Mocaër, J. Sevellec, etc., qui ont servi l’œuvre avec un beau dévouement.
Glorifions surtout Saint-Pol-Roux, qui daigna nous dire de sa voix prophétique ses "Stances à la Dame" et qui nous donna la joie rare de l'entendre.
ÉDOUARD ROCA(Ouest-Éclair, 2 juillet 1926, p. 5)
Il convient de rappeler que les récitants réunis par Saint-Pol-Roux n'étaient que des amateurs - et j'entoilerai prochainement quelques souvenirs de l'un de ces amateurs - des bonnes volontés, 250 bonnes volontés qui, à la pointe Saint-Mathieu, servirent une haute idée de la poésie. C'était folie. C'était le bon temps.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire