Parmi les nombreuses revues qui paraissent aujourd'hui, plus ou moins
petites, petites dans le sens où elles se rattachent, volontairement ou non, à la tradition de leurs belles et hautaines aînées d'il y a un siècle-et-des-poussières-de-bibliothèque,
le frisson esthétique, d'Esther Flon, a su trouver sa place. Elle est l'élégante, la très-belle
petite revue. Vous me direz, et vous n'aurez pas tort : il arrive parfois que la joliesse de la mise, la finesse du maquillage, la grâce du maintien, s'encitrouillent à l'effeuillage et qu'apparaisse finalement une courtisane grossière. Vous n'auriez pas tort si l'élégance du
frisson n'était aussi, surtout, éditoriale, et si, dans la littérature, plus que dans la vie, les plis de la parure, ses tremblements, n'étaient pas l'être entier palpitant à la surface.
L'élégance du
frisson est faite d'une alliance juste - et elle est juste puisqu'elle nous paraît naturelle, non réfléchie quand bien entendu elle l'est parfaitement - entre les caractères, les illustrations qui jouent sur plusieurs niveaux, ombres filigranées, reproductions ou photographies, la mise en espace avec des marges généreuses où peuvent s'ébattre les esprits du texte et du lecteur. L'élégance du
frisson, c'est une personnalité, un ensemble de traits distinctifs qui, nécessairement, particularisent la revue d'Esther Flon ; un thème : il y avait eu déjà un fort dynamique
numéro ferroviaire, puis un
gourmand n°6, voici "Coquilles & coquillages", qui n'est pas sans lien papillaire avec le précédent ; le "premier frisson esthétique" d'une personnalité : Astrid Bouygues, que les amis de Queneau connaissent bien, est la septième et donne un récit très-fort, peut-être le plus vif de tous ceux publiés jusqu'ici, de son frisson originel - le jour où elle découvrit le tympan de Conques :
"Médusée par cette tête qu'on empoigne, incapable de détacher mes yeux du corps là-haut qui n'en finit pas de se tordre, qu'on n'en finit pas de tordre. Cep noueux, treille que l'on presse, ce corps-linge qu'on essore, ce corps-vrille qu'on étrille, cette anguille. Poisson hors de l'eau qui se cambre nerveusement gueule ouverte, corps-croc, corps-esse, corpS, hameçon auquel je viens de mordre - si je respire, ma bouche touchera-t-elle une lame ?"
des rubriques, qui sont des rendez-vous : les "promenades littéraires" où se croisent, en vénus de Boticelli chevauchant la thématique coquille, André Derain & Apollinaire, Marguerite Duras, Saint-Pol-Roux (non, je ne parlerai pas de ce "Saint-Pol-Roux conchylophile/Saint-Pol-Roux conchylophobe", parce que l'auteur m'est trop proche et qu'on aurait trop vite fait de mettre en cause mon impartialité), Marcel Proust - saviez-vous que la fameuse petite madeleine, qui semble moulée dans une coquille Saint-Jacques, fut, au principe de l'imaginaire proustien, une plus prosaïque biscotte ? -, etc. ; "l'imprimerie gourmontine" - le grand Normand, Remy de Gourmont, est l'esprit du lieu : un article, "Traduire le
Livre des masques en japonais", fait un complément à l'étude très-utile de Kensaku Kurakata sur "la réception de Gourmont au Japon" (
Actualité de Remy de Gourmont,
Editions du Clown Lyrique, 2008) ; les "Curiosa" de Nicolas Malais,
ravissantes toujours, et celle-ci est de haute volée qui feuillette, pour nous inciter à plus et mieux le lire, la vie littéraire de Jean Lorrain,
de Raitif à Sodome, de ses chroniques périodiques à ses lettres "intimes" ; les "balades gourmandes", en tête de brigade : Geneviève Moll et Olivier Roellinger, Saint-Jacques à l'honneur ; le feuilleton : la sixième partie de
Nietzschéenne, par Daniel Lesueur. Puis, qui manquaient à la précédente livraison, de nombreux poèmes, et le thème se prêtait merveilleusement à une anthologie, d'Apollinaire à Jean-Pierre Verheggen. Enfin, mais qui ne clot pas ce numéro - c'est une lettre de Léon Bloy à René Martineau, où il est question de Villiers de l'Isle-Adam, de Huysmans et de... coquille, qui remplit cet office -, la nouvelle de Christian Buat, "Tandem ou pour l'amour de Cherbourg", humour & poésie.
Mais le plus simple est encore d'en détailler le sommaire.
Premier Frisson
Astrid Bouygues : Une onde qui serait de chair...
Poésie
D'Apollinaire à demain, le temps des coquilles
D'art et d'amour
Frèd Blanc : Carnassières en action
Nouvelle
Christian Buat : Tandem ou pour l'amour de Cherbourg
Promenades littéraires
Arlette Albert-Birot : Les coquilles d'André Derain
Jean-Baptiste Baronian : Coquilles et associés
Joëlle Pagès-Pindon : Marguerite Duras et l'enfant à la coquille
Marianne Simon-Oïkawa : La coquille aux mirages
Mikaël Lugan : Saint-Pol-Roux conchylophile/conchylophobe
Thierry Clermont : Sevillanesques
Dominique Bussillet : Du côté de chez Proust
Jacques Demarcq : Coquines
Le triangle bien coquillé
Pierre-Albert Birot : Grabinoulor cause avec Eugénie son amie d'enfance
Sur les planches
Philippe Normand : Etoile filante...
Imprimerie gourmontine
Shigeru Oïkawa : Traduire Le livre des masques en japonais
Beau livre
Claude Debon : Calligrammes dans tous ses états
Trésors de la Médiathèque de Saint-Lô
Un herbier de la mer
Curiosa
Nicolas Malais : Jean Lorrain de Raitif à Sodome
Feuilleton
Daniel Lesueur : Nietzschéenne - 6e partie
Dernier frisson
Léon Bloy à René Martineau : A propos d'un erratum...
Désormais
le frisson esthétique est semestriel. On s'abonne aux deux numéros annuels pour 16 € (+ 5, 35 € de frais de port) seulement,
ici.
Voilà deux semaines que j'ai lu ce superbe septième numéro et je ne me suis toujours pas résolu à le ranger dans l'espace de ma bibliothèque réservé aux revues. Je l'ouvre de temps à autre et j'en relis une page ou deux... Tenez, je crois bien que je le rayonnerai dans six mois, lorsque le huitième numéro de la plus élégante des petites revues aura paru.
Nota : Le Grand Jeu Concours n'a pas trouvé encore son physionomiste. Tentez votre chance, même plusieurs fois...